Le courrier ...
rideau
le courrier des prisonniers
L'une des pires souffrances des débuts de la captivité ç'avait été de demeurer sans nouvelles des nôtres. Nous nous imaginions qu'une fois rassurés sur leur compte, un grand poids nous serait ôté. C'était mal juger de la qualité de notre exigence, car lorsque nous eûmes reçu la certitude que nos femmes, nos mères et nos amies vivaient encore, une autre inquiétude se substitua bientôt à la première, infiniment plus subtile et presque inapaisable. ll ne nous suffisait plus de savoir que ceux que nous aimions avaient échappé aux périls, nous étions dévorés du besoin de connaître ce qu'ils pensaient, et nous nous demandions comment ils prendraient notre absence... Combien de camarades ai-je surpris penchés sur une écriture familière qui, à travers les réticences imposées par le contrôle allemand, supputant les réserves de la pudeur quant aux tendresses et celles de la prudence quant aux vues de la guerre, s'efforçaient désespérément de faire jaillir la vérité entre les lignes ! J'ai vu des hommes déchirés parce qu'ils sentaient sous des mots refroidis une liaison en train de se rompre ou un foyer qui se disloquait...
Tout se joue dans deux cartes de sept lignes et deux lettres de vingt-six lignes par mois. Alors, on relit dix fois la même lettre, on imagine, on suppose, on fait lire aux copains : « Dis-moi si j'ai pas raison ! »
F. Ambrières a lu dans ces lettres :  Ce n'est pas parce que tu perds malheureusement ta jeunesse que je dois perdre la mienne...
Je me suis mariée il y a trois mois. Je suis très heureuse. Je voudrais, chéri, que vous ne m'écriviez plus...
Tes enfants sont très contents de leur nouveau papa...
Cette lettre-là était adressée à un Breton fruste et taciturne, mais le soir, pour ne plus être seul, ce pauvre homme a lu cette lettre, sans broncher, à ses copains de chambrée. C'est ceux-là qui, furtivement, ont essuyé une larme.
Mais, heureusement les merveilleux mots de tendresse existent aussi, avec parfois, dans des milieux simples, une grande gentillesse naïve :
— Aujourd'hui, comme il fait beau, je viens de la salade. Seulement on ne la mange qu'au vinaigre, car on n'a pas d'huile, voilà plus de six mois. Mais il faut espérer, quand la laitue sera revenue, nous approcherons des beaux jours et, avec l'huile, tu seras comme elle de retour pour la manger avec nous...
Le rapatriement des anciens combattants de 1914-1918, puis de certains spécialistes, puis de beaucoup de malades, « rapatriés sanitaires », permet d'établir en 1941 de merveilleuses liaisons avec les familles, et tous ceux auxquels le prisonnier pense constamment. Il se crée même ainsi des sortes de codes qui donneront au courrier beaucoup plus d'authenticité, de franchise, et en somme de contact.
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